Page 18 - Traité de versification, métrique et prosodie
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               Dans son Art poétique (1874) Paul Verlaine adopte une attitude rigoureusement inverse. Après avoir
         proclamé de la musique avant toute chose, il exhorte les poètes à ne pas :
                                        « Choisir les mots sans quelque méprise :
                                          Rien de plus cher que la chanson grise
                                             Où l’indécis au précis se joint. »
               Les vers de Boileau sonnent comme un proverbe. Ils ne contiennent pas une image mais un énoncé
         qu’il nous livre. Seule la mise en forme de cet énoncé, en quelque sorte son emballage, est poétique. Le
         contenu s’en veut totalement contrôlé, proche d’un discours sans envolée lyrique.
               Au contraire, les vers de Verlaine ne cherchent pas à nous définir sa vérité, qu’il ne nous livre pas avec
         des mots mais des images. Qu’est-ce que la poésie ? Pour Verlaine, point de définition mais :
                                       « C’est des beaux yeux derrière des voiles,
                                           C’est le grand jour tremblant de midi,
                                           C’est, par un ciel d’automne attiédi,
                                           Le bleu fouillis des claires étoiles ! »
               Depuis trois siècles, la poésie navigue entre ces deux rives, la définition de Boileau et l’image de
         Verlaine. Il appartient au poète de fixer son cap en fonction de sa personnalité et, pourquoi pas, de tirer
         des bords de temps à autre.

         3-2-2 Ce que l’on conçoit bien…
             Dans son Art poétique, Boileau nous enseigne :
                                   « Quelque sujet qu’on traite, ou plaisant, ou sublime,
                                    Que toujours le bon sens s’accorde avec la rime ; »
         Et l’on ne peut que s’associer à ce vœu. Il appartient au poète de ne prendre sa plume qu’une fois son
         image poétique élaborée. Son poème a pour mission de nous ouvrir la porte d’un rêve éveillé et de nous
         y convoyer. Il lui appartient de faire l’effort littéraire assurant une expression claire, afin que nous puissions
         profiter pleinement du voyage.
             Dans un tout autre style, avec image et non pas définition, Verlaine termine son Art poétique sur le
         même conseil :
                                          « Que ton vers soit la bonne aventure
                                             Eparse au vent crispé du matin
                                          Qui va fleurant la menthe et le thym…
                                              Et tout le reste est littérature. »
             Quelle que soit son école poétique,  une bonne expression simple et compréhensible manifeste le
         respect dû par l’auteur à son lecteur. C’est l’hommage rendu à la langue française, le trait d’union entre
         les poètes, d’horizons aussi différents que Boileau et Verlaine, qu’il est vain d’opposer sur le sujet.
             Quant à l’hermétisme, il ne sert souvent qu’à nommer l’incapacité de parler correctement français…

         3-2-3 On, pronom imbécile ?
             « On, pronom imbécile, définit celui qui l’emploie » répétait le maître d’école, affirmant qu’il manquait
         un vrai sujet à la phrase. Le même opprobre a longtemps frappé l’écriture poétique. L’Académie française
         rappelle aujourd’hui  (cf son site internet) toute l’utilité de ce pronom d’origine noble, issu de  homo, l’être
         humain, et en cela très proche du man allemand.
             Le  pronom  « on »,  par  son  caractère  indéfini  et  sa  généralité  sur  l’espèce  humaine,  joue  un  rôle
         particulier dans la langue française. Le poète ne doit pas le mépriser.
             Dans l’exemple qui suit, l’auteur relate le procès tenu à Bordeaux en février 1953, au cours duquel un
         certain  nombre  des  soldats  ayant  participé  au  massacre  d’Oradour-sur-Glane  étaient  jugés.  Chacun
         plaidait qu’il n’avait été qu’un maillon dans une chaîne qu’il ne contrôlait pas. L’emploi du pronom « on »
         traduit cette dénégation de responsabilité individuelle :
                                            « Pouvait-on dire on ne sait pas ?
                                          Pouvait-on croire on marche au pas ?
                                            Et, puisqu’on est dans une armée
                                              Non pas choisie et pas aimée
                                              Mais imposée en un combat,
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