Cécile Causse – Artiste Littéraire
Cécile Causse débute dans le domaine de l’écriture de fiction (hormis quelques poèmes de jeunesse). Elle s’essaie dans différents genres : poésie surtout, mais aussi contes et nouvelles. Son parcours dans l’Education nationale est atypique, de la gestion à l’enseignement, de Nanterre à Montpellier en passant par le 93, au hasard des affectations consécutives à différents concours.
Elle a beaucoup lu avant de tenter d’écrire, de l’Iliade et l’Odyssée à Jean Echenoz, avec une prédilection pour les écrivains/es du 19ème siècle.
Elle a posé depuis peu ses valises dans la vallée de la Vis, à Gorniès, le petit village dont elle est originaire, et où ses parents ont été instituteurs.
Elle a été publiée pour la première fois dans le n°1 de la revue Restes, revue numérique dédiée à la littérature alternative et expérimentale, paru le 24 avril 2024, puis dans les n°97 et 98 de la revue de poésie numérique et mensuelle Lichen (juin et juillet 2024). Elle vient d’obtenir un prix littéraire des Arts et Lettres de France.
Contact
Cécile CAUSSE
Adresse : Chez M. Joel Povreau – 4 impasse Lézène – 34190 Gorniès
Email : cecilcausse@orange.fr
Tél. : 06 31 97 85 45
Facebook : facebook.com/cecile.causse
Site Internet : lichen-poesie.blogspot.com
Contes
Les trois juments
Il était une fois trois juments dans un pré, trois sœurs qui depuis toujours s’aimaient. Elles s’appelaient Blanche, Brune et Dorée. Dorée était la plus impulsive, Brune la plus timorée, Blanche la plus paresseuse, mais toutes les trois étaient douces et affectueuses, et jamais elles n’auraient voulu faire de peine à leur maître ou à ses filles. Les trois fillettes étaient vives et gaies, et surtout Esclarmonde qui était aussi la plus jolie avec ses yeux brillants comme des étoiles. Le maître était moins gai, mais il était très bon. Tous les soirs il venait s’assurer que les juments avaient été bien étrillées. Quelquefois il s’attardait et leur parlait, en particulier à Dorée qui était sa préférée ; mais, se reprenant, il disait ensuite : « Quel vieux fou je deviens ! Comme si tu pouvais me comprendre ! ». Dorée soupirait en songeant : « Quel dommage que les êtres humains soient si ignorants et que nous ne puissions pas les détromper », car comme vous le savez, les animaux nous comprennent très bien, mais dans ce pays et en ce temps-là, on l’ignorait.
Leur pré était bien joli, couvert de pâquerettes au printemps et de colchiques à l’automne. Un beau chêne l’ombrageait et un frais ruisseau le traversait. L’herbe était si verte au printemps que l’on avait envie de s’y rouler !
Blanche, Brune et Dorée ne connaissaient donc du monde que leur pré, la chaude écurie l’hiver, le village à l’ouest, et la forêt à l’orée de laquelle elles emmenaient leurs jeunes maîtresses en promenade.
Les trois sœurs étaient donc heureuses, en apparence. Car Dorée (la plus impulsive) aspirait à connaître autre chose que leur monde douillet. Quand les hirondelles revenaient, au printemps, elle passait de longs moments à écouter leurs récits de voyage : la mer si bleue, les déserts de sable blanc, les villes immenses…elle rêvait surtout de la mer et en regardant ses quatre jambes solides et ses sabots bien polis elle soupirait : « Que ne puis-je avoir des ailes au lieu de ces quatre bâtons pesants ! ». Et quand les hirondelles repartaient elle était si triste ! Elle aurait tant voulu les suivre ! Bien sûr elle ne pouvait parler à personne de son rêve, ses deux sœurs se seraient moquées d’elle sans doute, et puis elle serait passée pour une ingrate alors que ses maîtres étaient si bons.
Un jour, au lever du soleil, Esclarmonde faisait sa promenade matinale qui passait bien sûr par le pré. « Où est donc cachée Dorée ? « demanda-t-elle à Blanche et à Brune. Blanche et Brune étaient bien inquiètes en vérité, car elles n’avaient pas revu Dorée depuis le crépuscule. Mais bien sûr elles ne pouvaient pas le dire. Après avoir fait le tour du pré, Esclarmonde vit que Dorée avait bel et bien disparu. L’émoi au domaine fut grand. Toute la journée, puis la semaine se passèrent en recherches qui restèrent vaines. On pensa à une fugue, mais au bout de quelques jours cette hypothèse apparut improbable. On se remémora qu’un cirque avait séjourné au village quelque temps avant. Peut-être Dorée avait-elle été séduite par l’un des beaux chevaux qui faisaient partie de la troupe ? Cette idée était de Violette qui était la plus romanesque des trois sœurs, mais Esclarmonde la trouva ridicule. Au début tout le monde était persuadé que l’’on retrouverait Dorée très vite, mais l’espoir s’amenuisa avec les jours, puis les semaines. Le maître était encore plus mélancolique que d’habitude. Ses trois filles avaient perdu toute leur gaieté. Brune, quant à elle, malgré sa tristesse, n’avait de cesse de chercher à comprendre cette disparition. Brune était la plus craintive des trois sœurs, mais aussi la plus réfléchie et la plus méthodique. Elle interrogea donc tous les oiseaux, tous les petits animaux des environs, de la grenouille au martin-pêcheur, pour savoir s’ils n’auraient pas remarqué quelque chose d’inhabituel, si Dorée ne leur aurait pas fait de confidences. Les hirondelles lui parlèrent bien des rêves de voyage de Dorée, mais elles ne savaient rien de plus. Brune recherchait aussi inlassablement des indices, du pré au domaine et du domaine au village, quand elles emmenaient encore Violette et Rose en promenade. (Esclarmonde ne voulait plus sortir sans sa préférée). Quelques mois passèrent ainsi sans apporter rien de nouveau.
Mais un matin, en suivant de l’œil l’écureuil qui regagnait son abri dans le chêne, Brune remarqua un objet brillant au soleil. Cela semblait dépasser du nid de la pie. La pie ! Bien sûr, comment n’y avait-elle pas pensé avant ? Il est bien connu que les pies sont curieuses. S’il y avait quelqu’un qui pouvait avoir remarqué ou trouvé quelque chose, c’était bien elle. Mais comment la convaincre ? Les pies ne rendent pas aisément leur butin. Brune résolut de demander à l’écureuil de lui rapporter cet objet. Elle savait qu’elle pouvait se fier à lui s’il ne s’agissait pas de noisettes ou autres friandises. Ce fut chose faite une heure après. L’écureuil lui apporta une magnifique plume, bleue et verte. Mais après le petit moment de joie qui suivit cette découverte, Brune se sentit plus que jamais perplexe et découragée. Dorée ne pouvait tout de même pas avoir été enlevée par un oiseau, ni l’avoir suivi, ni s’être transformée elle-même en oiseau même si elle en rêvait ! Brune raisonnait très bien et elle était très perspicace, mais elle ne croyait ni à la magie ni aux contes de fées. Ou pour mieux dire, elle ne croyait qu’à ce qu’elle voyait. Elle garda tout de même la plume qu’elle montra bien sûr à Blanche, pensant qu’elle pourrait un jour se révéler utile.
Quelques semaines se passèrent encore. Les deux juments languissaient. Même la nonchalante Blanche ne trouvait plus le sommeil. Un dimanche matin elles emmenèrent Rose et Violette à l’église du village. Elles les attendaient devant la porte de l’église, qui était restée ouverte. Or soudain l’attention de Brune fut attirée par un détail dans un vitrail, vitrail qu’elle connaissait pourtant depuis toujours, mais qu’elle n’avait jamais vraiment regardé. Il était là, le possesseur de la plume, un bel oiseau multicolore, se tenant fièrement sur le poing d’un élégant écuyer. Mais surtout elle voyait, tenue en bride par l’écuyer, une magnifique jument, leur sœur Dorée ! Tremblante d’émotion, Brune murmura à Blanche : « Regarde ! La voilà ! »
Le soir même les deux sœurs n’en finirent pas de se perdre en suppositions. Comment Dorée avait-elle pu se retrouver prisonnière de ce vitrail ? Bien sûr il devait y avoir un rapport avec la plume et l’oiseau mystérieux. Mais ni Blanche ni Brune n’avaient jamais rencontré d’oiseau de cette espèce, et elles ne voyaient pas comment résoudre cette énigme et surtout comment retrouver et délivrer leur sœur. Car elles étaient bien d’accord pour penser que Dorée était prisonnière.
L’été touchait à sa fin. Les deux sœurs étaient toujours tristes et préoccupées, car elles n’avaient pas trouvé de réponses à leurs questions et Dorée leur manquait de plus en plus.
« Crois-tu qu’elle soit partie là-bas, au pays des perroquets ? » interrogea Blanche.
« Voyons, Blanche…nous l’avons vue ensemble. Dorée est prisonnière du vitrail. » répondit Brune.
« Oui », insista Blanche « mais justement »
« Justement quoi ? « Brune était étonnée. Blanche se rangeait toujours à son avis en temps normal.
« Si le vitrail était le chemin pour aller dans ce pays ? «
« Voyons, Blanche ! « Brune était vraiment scandalisée. Si les chevaux se mettaient à déraisonner de la sorte, à croire à des fables comme les humains, à qui pourrait-on se fier ?
Blanche ne dit plus rien. Mais elle n’en pensait pas moins. Elle rumina, (si l’on peut employer ce mot pour une jument), cette idée pendant plusieurs jours. A qui d’autre pourrait-elle en parler ? Sa sœur était peut-être très intelligente, mais vraiment elle manquait d’imagination. Découragée, elle remarquait à peine la nuit qui tombait. Mais soudain elle entendit : « Kroak ! Kroak » C’était Krassiva, la vieille corneille. Cela faisait longtemps qu’elle n’avait pas volé jusqu’à leur pré, sinon elle aurait certainement pu leur apporter de l’aide auparavant, les corneilles étant des oiseaux très intelligents et qui peuvent vivre très longtemps. Blanche lui raconta tout.
Krassiva qui était très sage et avait vu beaucoup de choses l’écouta avec sérieux.
C’était vraiment une très vieille corneille, mais ses yeux étaient à la fois profonds et vifs.
Cependant ils étaient clos maintenant et Blanche craignit qu’elle ne se fût endormie.
« Madame Krassiva ?
« Krouk…Hmm, ma petite, je réfléchissais et me remémorais des faits très anciens. Car j’approche des cent cinquante ans, eh oui ! Même si ma mémoire reste excellente, quelquefois il est un peu long de retrouver l’information dont on a besoin. Eh bien, il me semble que toute l’histoire est limpide : votre sœur est partie de l’autre côté du vitrail. Ce vitrail est magique, il avait été conçu pour le roi Gédéon le Douzième ou bien était-ce le Treizième … enfin par un magicien réputé en ce temps. Le roi avait perdu son épouse bien-aimée, il était inconsolable. Le vitrail permet de trouver ou de retrouver ce que l’on désire le plus. Bien sûr ce secret a été oublié depuis longtemps, ceci se passait quand j’étais une jeune oiselle. »
Blanche jubilait modestement. Elle avait eu raison, le vitrail était le chemin. Ce serait donc facile de retrouver Dorée ! La vieille corneille continua cependant : « C’est peut-être heureux, que le souvenir du vitrail magique se soit perdu ; sinon trop de personnes partiraient de l’autre côté. Et puis il y a des épreuves à affronter, je ne me souviens plus très bien desquelles, mais je retrouverai cela. Et enfin comme toujours la magie ne peut tout résoudre et si le magicien a trouvé le moyen de transformer le vitrail en porte vers un autre monde, cette porte ne s’ouvre que dans un sens ! A ma connaissance personne n’est jamais revenu. »
Blanche était à présent anéantie. Partir et ne jamais revenir ! Abandonner leur pré, leur écurie, leur pays, leur maître et leurs jeunes maîtresses ! Elle remercia la vieille corneille bien sûr, et celle-ci lui promit de revenir la voir très vite pour lui en dire davantage sur les épreuves.
Quelques jours passèrent. Blanche avait tout confié à Brune, bien sûr, et elles attendaient avec impatience et anxiété le retour de Krassiva. Enfin un matin celle-ci arriva. Elle n’était pas seule, une autre corneille l’accompagnait, qui paraissait encore plus âgée, tellement âgée qu’elle semblait voler avec quelque difficulté.
« Voici ma tante Kronoé, annonça avec fierté Krassiva, elle a connu le magicien et a pu (presque par hasard-hé hé ! mais ceci est une autre histoire) parcourir le manuscrit qui contient le secret du vitrail. «
« Eh oui, mes poulettes, opina Kronoé, c’était un autre temps où les corneilles et les magiciens travaillaient ensemble. Nous étions respectées, eh oui. «
« Ma tante…revenons au vitrail, ces jeunes dames sont un peu pressées. » intervint Krassiva.
« Oui, bien sûr. Eh bien, c’est très simple, comme toutes les énigmes en réalité : il s’agit de trouver les saphirs dans la neige. C’est seulement lorsque on est en possession de ces joyaux que l’on doit chercher le jais dans le feu. Et l’on franchira sans problème le vitrail. Vraiment très simple. Ces magiciens sont quelquefois de vrais enfants »
Blanche et Brune restèrent interloquées. Très simple ? Elles se demandèrent si les deux corneilles ne se moquaient pas d’elles, mais Krassiva et Kronoé paraissaient très satisfaites de leurs révélations. Brune ne voulait pas laisser penser que les chevaux étaient inférieurs aux corneilles pour l’intelligence, mais elle se sentait vraiment dépassée, et demanda timidement : « Et… ? Avez-vous la réponse à ces énigmes ? Ou un indice à nous fournir ? »
Kronoé parut offensée. « Bien sûr que j’ai la réponse, mais c’est celui qui a une quête qui doit trouver sa propre réponse. Sinon le charme magique ne peut opérer. »
Ces paroles paraissaient sans appel. Blanche et Brune comprirent qu’il ne servirait à rien d’insister. Elles se sentaient pourtant encore plus inquiètes et découragées, car elles n’entrevoyaient pas la moindre petite chance de résoudre ces énigmes et d’accomplir ces prouesses. Trouver des saphirs dans la neige ! Il est vrai que l’automne approchait, et la neige pouvait parfois arriver précocement. Blanche n’ignorait pas d’autre part, pour l’avoir lu par-dessus l’épaule de Violette dans certains contes, que les saphirs étaient de belles pierres précieuses bleues et le jais une pierre noire. Mais où trouver les saphirs ? Et la simple idée du feu à traverser les faisait frémir.
Après le départ de Krassiva et Kronoé, les deux sœurs continuèrent néanmoins à s’interroger, échangeant réflexions et suppositions jusqu’à l’approche de l’aube. Brune, épuisée, s’était assoupie mais Blanche n’arrivait pas à s’endormir. Le coq chanta. Les poules se mirent à caqueter. Blanche contemplait mélancoliquement tout ce petit monde qui vaquait joyeusement à ses affaires, sans aucun souci. Le chat, quant à lui, avait terminé ses chasses nocturnes et s’apprêtait à commencer sa nuit. Le chat ! Blanche poussa un hennissement de joie qui éveilla Brune en sursaut.
« Brune…les saphirs dans la neige…Chat ! »
Brune crut d’abord que sa sœur rêvait ou délirait. Mais le chat qui s’était perché sur la fenêtre de l’écurie pour commencer sa toilette la regardait, à ce qui lui sembla, avec malice. Que les yeux de ce chat étaient donc bleus ! Et sa fourrure, immaculée comme…de la neige, bien sûr ! Blanche avait raison, une partie de l’énigme était résolue. Mais comment faire ? Après réflexion, les deux sœurs décidèrent de ne pas interroger le chat et d’attendre le soir pour essayer de le suivre, puisque Kronoé leur avait dit que c’était celui qui cherchait qui devait trouver sa propre réponse.
Le jour finit enfin par décliner. Les deux sœurs guettaient impatiemment le chat. La nuit était tombée lorsqu’elles l’aperçurent s’étirant dans la cour. Sur la pointe de leurs sabots, essayant de faire le moins de bruit possible, elles sortirent de l’écurie. Les chevaux n’aiment pas sortir la nuit, mais heureusement une belle lune rousse d’automne éclairait les champs et le chemin. Le chat trottinait sans prendre garde à Brune et Blanche. Il ne pouvait cependant ignorer qu’elles le suivaient ! Cela les rassurait un peu car cela pouvait signifier qu’il les emmenait en effet vers la clé de l’énigme.
Il leur semblait à présent que cela faisait des heures qu’elles suivaient ainsi le mystérieux animal. Mais enfin il s’arrêta devant une mare, semblant attendre quelque chose ou quelqu’un. La lune rousse se reflétait dans l’eau. Le silence était profond. Puis elles entendirent un très léger clapotis et aperçurent une étrange créature aquatique d’un beau jaune doré tacheté de noir. La salamandre ! Bien sûr elles en avaient entendu parler, mais comme d’un animal légendaire qui détenait entre autres pouvoirs celui de traverser le feu sans dommages. Et, bien sûr, c’était elle le jais dans le feu, elles le comprirent au même instant. Sans se concerter elles s’approchèrent doucement des deux animaux qui les regardaient. Puis la salamandre parla d’une étrange voix métallique : « Ainsi vous voilà presque arrivées au bout du chemin. Ce n’était pas trop difficile jusqu’à maintenant…mais si vous désirez continuer, il vous faudra m’emmener avec vous. C’est la règle du jeu. D’ailleurs vous n’auriez aucune chance de traverser les flammes sans moi. »
Les pauvres juments étaient toutes tremblantes. Être chevauchées par cette créature fantastique et à vrai dire un peu répugnante, qui devait être froide comme un poisson, elles qui n’avaient jamais été montées que par leurs mignonnes maîtresses ! Et comment la faire tenir en selle ?
« N’ayez crainte, dit encore la salamandre. Je suis montée bien des fois à cheval, ah ah ! »
Alors Blanche soupira et mit un genou en terre, tout en fermant les yeux. La salamandre fut en effet rapidement installée. Le contact des petites pattes était vraiment une sensation très inhabituelle et à peine supportable pour l’infortunée Blanche, mais ce n’était rien à côté de la traversée du feu qu’elle ne pouvait imaginer sans regretter d’avoir suivi ce chat ! Et sa pauvre Brune, si craintive, comment allait-elle affronter cette épreuve ?
« Et maintenant, en route pour l’église ! » ordonna la salamandre. Et les voilà parties toutes les trois, car le chat, qui avait probablement accompli sa mission, avait disparu, vers le village. C’était bien loin de la glorieuse chevauchée que Blanche avait admirée tant de fois sur les livres de Violette !
Une fois arrivées dans l’église, la salamandre leur recommanda le silence et l’immobilité, recommandation presque superflue car toutes deux se sentaient plus mortes que vives. Alors leur compagne regarda fixement le vitrail et les couleurs de celui-ci semblèrent se fondre en un seul rayon lumineux couleur d’arc en ciel qui se concentra sur la fantastique créature. Ensuite elles se sentirent soulevées puis emportées par une sorte de vague. Après ce qui leur parut être une première porte, elles traversèrent un pays où des volcans en éruption crachaient des flammes impressionnantes. Mais au passage de la salamandre, les flammes devinrent tièdes et presque caressantes. Puis défilèrent des paysages solitaires, de grandes cités, un fleuve scintillant, et enfin la mer ! Blanche ferma les yeux à ce moment-là. Et lorsqu’elle les rouvrit, elle se retrouva dans un parc à la végétation luxuriante. Des oiseaux multicolores s’ébattaient dans les arbres, semblables à celui du vitrail. Elle s’approcha d’une cascade pour s’y désaltérer. Et, se penchant sur l’onde, elle crut rêver en apercevant trois juments. C’était bien à côté de Brune, sa sœur Dorée, un peu moins fringante peut-être, qui lui donnait de tendres coups de museau. Mais qui était le beau jeune homme revêtu d’or et de velours noir qui leur souriait ? Et leur guide tacheté, qu’était-il devenu ?
Le jeune homme, Anselme, leur dit alors que, ayant voulu franchir le passage du vitrail pour retrouver quelqu’un, il avait été captif d’un sort que seule son aide pour leur périple avait pu briser. Mais, à présent, hélas, il ne savait comment mener à bien le voyage de retour.
Mais les trois sœurs étaient néanmoins heureuses d’être à nouveau réunies. Dorée avoua à Blanche et à Brune qu’elle avait suivi le perroquet car il lui avait décrit son pays natal avec tellement de nostalgie et de ferveur qu’elle avait été captivée. Mais une fois le premier émerveillement passé, elle avait regretté sa folie, surtout en pensant à la peine de ses sœurs et de ses maîtres. Et maintenant elle la regrettait encore davantage car elle avait entraîné ses sœurs dans son aventure sans espoir de retour.
« Mais, dit Blanche, qui était celle qui réfléchissait le plus vite, si le perroquet a pu accéder à notre monde par le vitrail sans accident, c’est qu’il doit exister un moyen ? Où est-il maintenant ? ». Dorée, malheureusement, l’ignorait. Tout ce qu’elle savait, c’était qu’Orpheus, (c’était son nom) était reparti à la recherche de sa compagne de toujours qu’il avait d’abord crue égarée dans leur monde. Les aras, c’est le nom de ces magnifiques perroquets, restent en effet toute leur vie avec le même partenaire.
Le lendemain les trois sœurs et leur compagnon se mirent en route pour retrouver Orpheus. Elles traversèrent des forêts peuplées de singes et d’oiseaux, des villages prospères, des domaines immenses, et des fleuves paresseux. Elles questionnaient tous les animaux qu’elles rencontraient et discrètement jetaient un coup d’œil à l’intérieur des églises. Brune pensait en effet que si elles retrouvaient un vitrail similaire à celui par lequel elles étaient arrivées, elles pourraient repartir. Mais personne ne semblait avoir rencontré le bel ara. Et nulle église ne possédait un vitrail comparable à celui de leur village.
Un jour, fatigués de leurs pérégrinations, ils s’arrêtèrent sur la place d’un village. Un cirque ambulant s’y produisait. Les spectateurs se pressaient sur les gradins de fortune. Anselme qui était resté avec ses trois amies au pied des gradins ramassa galamment l’éventail d’une noble dame qui était tombé à ses pieds. C’était un très joli éventail qui représentait une scène champêtre : un manoir, un pré verdoyant, un ruisseau, et…trois jolies jeunes filles un peu mélancoliques. « Mes sœurs ! » s’exclama alors Anselme tandis que Dorée, Brune et Blanche, stupéfaites reconnaissaient leur maison. Tout se mit alors à tourner et ils furent emportés par la même sorte de vague que lors de la traversée du vitrail.
Esclarmonde était bien triste depuis la disparition des deux sœurs de Dorée. Aussi, pour échapper à la société, elle avait entrepris une broderie très complexe qui représentait le manoir devant lequel toute la famille était réunie, ainsi que leurs trois amies juments. Mais ce jour-là, en reprenant son ouvrage avec un grand soupir, elle fut bien étonnée d’y trouver un nouveau personnage, un beau jeune homme.
Il ne s’agissait plus maintenant que de délivrer nos héros de la broderie. Ce ne fut pas la chose la plus facile au monde, car, vous vous en doutez bien, le tambour à broder était magique. Il permettait à celui qui l’utilisait de donner la vie à ce qu’il représentait dans son ouvrage. Esclarmonde le tenait de sa mère, qui en ignorait les pouvoirs. Elle savait seulement qu’il était très ancien.
Bien sûr l’on pensa d’abord à défaire la broderie. Mais impossible ! Esclarmonde, Rose et Violette s’y essayèrent à tour de rôle, avec beaucoup de délicatesse, mais le tambour à broder refusait de délivrer les infortunés voyageurs. Enfin Violette se souvint que si sa sœur avait hérité du tambour, elle avait reçu pour sa part une jolie paire de ciseaux d’or. Il est vrai qu’elle s’en servait si peu souvent qu’elle l’avait oubliée, car Violette préférait à tout la lecture. Mais les ciseaux restèrent introuvables. Cela aurait été bien facile pourtant, si l’on avait consulté Brune…Mais les prisonniers de la broderie ne pouvaient s’exprimer.
Heureusement Rose, la plus jeune des trois sœurs, avait, elle, une prédilection pour la liberté , pour la nature et les escalades. C’est ainsi qu’elle retrouva dans le nid de la pie les ciseaux d’or qui étaient seuls capables de défaire la broderie et de libérer les voyageurs.
Le maître fut bien heureux de revoir son fils qu’il croyait disparu en mer depuis des années. En réalité, Anselme était parti faire fortune dans ce pays lointain, mais il avait échoué et n’osait pas revenir, sinon en cachette. Esclarmonde, Rose et Violette étaient ravies d’avoir un grand frère en plus de leurs fidèles amies. Le chat, lui, ne souffla mot de son rôle et les juments se gardèrent bien d’y faire allusion car elles ne voulaient plus jamais entendre parler d’aventures. Rien ne leur semblait plus beau que leur pré, leur écurie, rien de plus doux surtout que les sourires de leurs maîtres et de leurs maîtresses. Pourtant, si Dorée n’avait pas suivi le perroquet, jamais Anselme n’aurait retrouvé son père et ses sœurs.
Et Orpheus, qu’advint-il de lui? Eh bien, un jour que les juments attendaient à nouveau leurs maîtresses devant l’église, en considérant le vitrail qui leur rappelait leur étrange voyage, Dorée reconnut son perroquet, Orpheus, bec à bec dans le vitrail avec une magnifique dame ara au plumage saphir et émeraude.
Cécile Causse
Le pingouin
L’autre jour, j’ai ouvert un de mes livres pour chercher des rêves. Mais le livre est resté muet. Sûrement, à force d’en tourner les pages, les rêves avaient pris un coup de sommeil.
J’en ai feuilleté plusieurs : je ne lisais plus rien entre les lignes.
Alors je suis allée à la bibliothèque. J’ai en rapporté plusieurs kilos de rêves. Les rêves,
c’est parfois plus lourd que ce que l’on croit.
Mais arrivée chez moi, impossible d’attraper les rêves dans les pages.
Ils avaient peur, sans doute qu’ils n’étaient jamais sortis de leurs cages.
Je n’étais pas encore découragée, j’ai décidé d’aller au supermarché pour trouver de quoi fabriquer des rêves.
La recette est très simple : douze œufs de roitelet huppé, car cela donne des rêves riches et légers à la fois, et un oranger, si possible givré.
J’ai trouvé l’oranger mais pas les œufs de roitelet. On m’a dit que cela ne se vendait plus, sauf peut-être sur Alazon.
Mais sur Alazon, plus d’œufs de roitelet en stock non plus. Il fallait s’inscrire sur une liste d’attente.
Alors j’ai renoncé provisoirement à fabriquer des rêves. J’ai voulu en acheter des tout préparés, mais sur Alazon il n’y avait plus de rêves neufs. Il faut dire que le rêve neuf se fait de plus en plus rare.
Il ne restait plus que des rêves d’occasion, mais cela ne m’intéressait pas .
Je ne savais plus quoi faire. J’ai mis l’oranger au congélateur en attendant, puis je suis allée me promener sur la jetée. J’y ai trouvé un œuf de pingouin géant. Quelle surprise, ils étaient déjà revenus !
Mais pourquoi les parents avaient-ils laissé leur œuf là, sans surveillance ?
J’ai hésité, puis je me suis dit que si je ne réagissais pas, les goélands n’en feraient qu’une bouchée.
Je suis donc rentrée chez moi avec mon œuf sous le bras, et j’ai cherché un tutoriel sur la couvaison des œufs de pingouin géant. J’ai vu qu’il leur fallait beaucoup de glace, donc je l’ai mis au congélateur avec l’oranger givré.
Puis je suis allée me coucher pour essayer de retrouver des rêves, car j’étais bien fatiguée.
Le lendemain j’ai trouvé un pingouin géant qui dégustait une orange givrée dans mon canapé. L’œuf était déjà éclos ! J’étais bien ennuyée, car je pensais avoir un peu de temps devant moi. Et puis je tenais à mes oranges.
Je ne voulais pas le garder au début, mais il m’a dit que j’étais obligée, depuis la convention de Casse-Noisette sur l’assistance aux animaux de Noël.
Je lui ai demandé s’il ne préférait pas retourner dans son pays, il m’a dit qu’il était bien mieux dans mon congélateur, que son pays maintenant, c’était la Forêt Magique, que de faux igloos, des sapins en plastique et de la neige artificielle. Et qu’il en avait assez d’entendre Jingle Bells toute l’année. De toute façon ses parents ne pouvaient pas l’élever, car les animaux de Noël ne sont pas censés se reproduire en captivité.
Alors je l’ai adopté.
Je lui donne à manger du surimi et des sushis. Il me raconte des histoires de chez lui, je lui en lis d’autres, et nous en inventons ensemble.
L’autre jour j’ai enfin reçu mes œufs de roitelet. Mais je n’en ai plus vraiment besoin, puisque j’ai trouvé une autre recette pour fabriquer des rêves.
Alors je me suis dit que l’on pourrait en faire une omelette norvégienne, avec les oranges givrées cela devrait être délicieux. A moins que je ne garde les œufs ? Qui sait ? Il faudra que j’en parle avec mon pingouin.
Cécile Causse
Les quatre roitelets
– Grâce, dit le roitelet. Grâce pour moi et mes frères, Excellence.
– Vous menacez le roi en titre, répondit l’Excellence.
– Nous ne réclamons rien, répondit le petit roitelet tout tremblant.
– Oui, mais ce titre de roitelet ? Et ce panache insolent ? Et ce jaune d’or ? L’or est réservé au roi. Et le panache permet à vos partisans de vous reconnaître. Vous seriez prétendument les véritables héritiers de la couronne du Royaume. Si vos déclarations sont sincères, veuillez-vous séparer de ce nom, de cette couleur et de ce panache.
– Mais …nous ne pouvons pas. Nous sommes nés ainsi. Nous en mourrions. Nous ne demandons pas grand-chose, qu’à continuer notre vie vagabonde. Ici et là, nous nous nourrissons de peu. Nous n’avons besoin que de liberté. Nous ne connaissions pas les lois de ce royaume.
– Ce royaume n’accepte pas les vagabonds et autres hurluberlus. Ici, les seules couleurs autorisées sont le noir et blanc. Quiconque prétend porter d’autres couleurs (et surtout le doré !) est passible de la peine de mort. Je vous fais prisonniers, vous et vos frères, jusqu’à ce que vous renonciez à ces couleurs indécentes.
Les quatre roitelets se retrouvèrent donc dans la prison du château. Le temps leur paraissait bien long. Mais malgré leur malheur ils entendaient tous les jours un chant qui les ravissait. C’était la fille du geôlier.
Un soir ils entendirent pour la première fois une nouvelle mélodie : Chante, rossignol chante, toi qui as le cœur gai …et un des quatre frères s’exclama : Un rossignol ! Voilà à qui il faudrait ressembler. Leur chant est ravissant et leur livrée modeste n’offense personne. Et j’ai entendu dire que le roi aime par-dessus tout la musique. Peut-être pourrions-nous ainsi obtenir notre grâce ?
Alors pendant des jours et des semaines ils s’entraînèrent, séparément, puis en duo et en quatuor. Les roulades et les trilles s’échappaient jour et nuit de la cellule. Tant et si bien qu’un soir la fille du geôlier les entendit.
– Que ces petits chantent bien, dit-elle à son père ! Vont-ils être encore longtemps prisonniers ?
– Il y a des chances que cela soit pour toujours, répondit son père.
– Alors, ne pourrais-je les avoir dans ma chambre ? demanda la jeune fille.
Son père, bien que geôlier, ne savait rien lui refuser. Il lui recommanda néanmoins de bien garder les roitelets en cage.
Les roitelets continuèrent donc de chanter malgré la tristesse de leur captivité.
Leur chant était devenu si mélancolique et si ensorcelant qu’un jour un voyageur de passage en fut charmé. Il offrit une telle somme pour les acquérir que le geôlier, malgré les instances de sa fille lui en céda un.
Les quatre frères n’avaient jamais été séparés. Les trois autres ne s’en remirent jamais tout à fait. Ils cessèrent de chanter.
Puis le temps passa. Un autre roi accéda au trône, et un jour ils obtinrent leur grâce et furent libérés. Mais ils n’oublièrent jamais, ni leur longue captivité, ni le frère qui leur avait été enlevé. Ils l’appelèrent et le cherchèrent tout le reste de leur vie.
C’est pourquoi les roitelets huppés de nos jours cherchent à se faire oublier. Ils sont devenus de plus en plus petits. Ils ne montrent plus leur huppe royale que dans de grandes occasions. Et ils ont oublié le chant du rossignol. Ils ne savent plus chanter que : sit, sit et psipsipsipsi… Ce qui signifie, dans le langage des oiseaux :
Si, si, si, si, tu y es? Et : pas ici, pas ici, pas ici. Ainsi se répondaient et se désolaient les trois roitelets à la recherche de leur frère.
Cécile Causse
Poèmes
Grâces
Grâce à la lune on pourrait
Boire le ciel en un seul trait
Grâce aux montagnes on saurait
Compter les pierres sans ciller
Grâce aux nuages attelés
On moissonnerait tout le blé
Des champs du soleil de l’été
Grâce aux forêts dorment les prés
Grâce à l’argent des oliviers
Aux flammes sombres des cyprès
L’hiver est doux comme une plume
Grâce aux lames on entrevoit
Les os de l’océan parfois
Et dans la mer se dissoudra
L’amertume
Des mots
Des maux
L’écume
Cécile Causse
Partir ?
Les asphodèles fières chandelles
éclairent le chemin des morts
neiges relapses
Têtes penchées-suivre la trace
Le champ brille de pâle glace
Epis et pieux sur pissenlits
Je suis si lasse-que l’on m’efface
Au pré de l’asphodèle
je resterai
près des âmes dé-libérées
Cécile Causse
Amour de pierre
La chienne sait :
à droite
après les cyprès,
chemin vers la stèle
tracé par mes pas.
Elle lape
l’eau des vasques,
croque de l’herbe,
s’y roule, ivre
de pâquerettes,
chasse le lézard
entre les tombes.
Candeur et pierres
la mort se récrée
dans le cimetière
costumé en
jardin d’enfant.
Cécile Causse
Syllabaire
Tenter de
poésie-r
Comment expliquer
que
ce serait
comme qui dirait
Essayer de
déchiffrer
les hiéroglyphes flottants
des
unijambistes flamants
Ou d’épeler
Le ciel surjeté de
martinets
Essayer de
disséquer
les étoiles débarquées
Et les nuages coucher
dans un berceau cuisant
sanglant
Cécile Causse
Nouvelles
Chambre 1111
Elle était arrivée au deuxième étage, service de gastro-entérologie. C’était la troisième fois qu’elle venait à l’hôpital, mais son père avait changé de chambre la veille, donc elle erra un peu dans les couloirs avant de trouver la nouvelle. Enfin elle repéra un fléchage qui indiquait la direction des chambres. Chambre 1012, c’était bien là.
– Alors, Papa comment ça va aujourd’hui ?
– Tu vois, ils m’ont levé. J’ai déjeuné dans le fauteuil. Mais maintenant je suis fatigué et bien sûr, personne ne vient quand je sonne. Et puis… il ne termina pas sa phrase, elle comprit qu’il était mécontent et humilié. Le lit n’était pas encore fait, des bouffées fades et fétides s’exhalaient de la salle de bains, mélange d’odeurs de toilette faite à la va-vite et de désinfectant.
– Tu as sonné depuis longtemps ? Je vais aller voir si je trouve quelqu’un. Tiens, je t’ai apporté quelques magazines.
Les deux premières fois elle n’avait pas osé aller à la recherche du personnel soignant, mais elle s’était aperçue que cela fonctionnait. Au moins ses visites servaient à quelque chose.
Elle sortit de la chambre. Le bureau du personnel soignant se trouvait vers l’escalier, il suffisait donc de prendre à droite. Pourtant elle avait dû encore se tromper, car elle se retrouva dans le service C. Elle maugréait contre sa stupidité (et son père qui comptait sur elle !), quand elle passa devant une chambre ouverte. Normalement elle détournait pudiquement le regard mais elle était justement en train de consulter les numéros pour essayer de se repérer. Et elle le vit. Pas longtemps, mais ce visage, elle ne pouvait l’oublier. Elle avait cru le reconnaître tant de fois dans la rue, et puis de près non, c’était juste une médiocre imitation. Pourtant à chaque fois elle retrouvait intacte la même émotion.
Elle finit pourtant par trouver un aide-soignant qu’elle parvint à attendrir et qui promit de passer voir son père. Le lit fut fait, la corbeille vidée, et ils regardèrent un film de Hitchcock. Son père semblait un peu apaisé. Du moins il avait terminé pour aujourd’hui de lui énumérer ses doléances contre l’hôpital. Elle pensait à Mika. Enfin si c’était bien lui. Oui, il n’y avait pas de doute, il lui avait paru un peu plus flou que dans ses souvenirs, mais après tout cela faisait presque dix ans. Donc il avait cinquante ans maintenant. Elle se sentait bercée par une très légère béatitude, comme une ombre suave du parfum des regrets. Mais elle se rendit compte tout à coup qu’elle n’avait pas eu la présence d’esprit de noter le numéro de la chambre. Il fallait y retourner, peut-être la porte serait-elle encore ouverte.
– Papa, veux-tu un café ou une autre boisson ? Ou quelque chose à grignoter ?
– Oui, si tu vas te chercher quelque chose. Je n’ai rien mangé ce midi…
– J’y vais. A tout de suite.
Elle se dirigea vers le service C. Mais elle ne passa que devant des portes fermées. Elle ne pouvait tout de même pas frapper à toutes les portes ! Quelle idiote vraiment ! Et s’il changeait de service, ou pire, quittait l’hôpital ?
Elle rapporta un cappuccino et des madeleines à son père. Il les dévora de bon appétit.
– Et ton mari comment va-t-il ?
– Oh lui, en pleine forme … répondit-elle avec insouciance. Son père la regarda, un peu surpris par son ton désinvolte, même s’il était admis depuis longtemps que Nicolas allait toujours bien. Elle se disait à cet instant précis qu’elle se remémorait le nom de famille de Mika, donc elle pouvait encore passer aux admissions et demander son numéro de chambre. Il n’était que 17h.
– Papa, je vais te laisser un peu plus tôt aujourd’hui, je dois commencer à préparer mes cours. C’est bientôt la rentrée, tu sais.
– Je comprends. Bien sûr, vas-y. Tu sais, tu n’es pas obligée de venir demain.
– Si, Papa, je passerai. A demain.
Elle l’embrassa. Il sentait le propre maintenant. Mais c’était triste de le laisser là.
Avant de repartir elle alla se renseigner aux admissions. Il y avait bien un Mickaël Durand au service de gastro-entérologie, chambre 1107. On lui assura qu’il n’était pas dans les « sortants ». Elle décida d’attendre le lendemain, elle était à peine maquillée et portait ce vieux jean confortable, mais qui ne la mettait guère en valeur.
En rentrant chez elle, elle se replongea tout de suite dans sa série favorite, les Tudor. Passions et trahisons dans des décors et costumes fastueux, c’était bien ce dont elle avait besoin après la réalité grise de l’hôpital. Son mari ne rentrait pas avant 21h ce soir-là, il avait une réunion.
– Tu sembles bien guillerette, pour quelqu’un qui a passé son après-midi à l’hôpital, remarqua t’il lorsqu’ils allèrent se coucher.
– C’est que Papa va beaucoup mieux. Je suis vraiment soulagée, tu sais.
Le lendemain elle partit un peu plus tôt afin de pouvoir passer à la chambre 1107 avant d’aller rendre visite à son père. La porte était fermée. Elle en fut contrariée. Néanmoins elle ne pouvait plus reculer, au pire elle s’excuserait, cela arrivait à tout le monde de se tromper et surtout à l’hôpital. Elle frappa donc interrogativement. Il lui sembla entendre un oui, donc elle entra.
– Excusez- moi, mais je croyais que c’était la chambre de Mickaël Durand…
– C’est bien moi, oui.
L’homme n’avait pas l’air très surpris.
– Je ne suis pas le Durand que vous cherchez ? Vous savez, notre patronyme est très commun.
– Oui, euh, merci, excusez-moi.
Elle battit en retraite et dut se réfugier un court instant aux toilettes. Des larmes avaient soudain rempli ses yeux et elle ne se sentait pas capable d’aller voir son père tout de suite.
La probabilité paraissait faible d’un homonyme dans le même service. Il faudrait retourner tout de même aux admissions, mais pas aujourd’hui. Non, elle n’en avait pas le courage.
Elle resta avec son père jusqu’à l’heure du plateau repas et se coucha de tout de suite en arrivant chez elle.
L’après-midi suivante elle arriva à 13H à l’hôpital. Au bureau des admissions, l’employé trouva en effet un autre Mickaël Durand, chambre 1111. Il n’y avait plus de temps à perdre. Elle avait préparé ses répliques : -Je cherchais …mais pardon, ne seriez-vous pas ?
Pourtant elle respira profondément plusieurs fois avant de frapper.
Personne ne répondit. Lorsqu’elle se décida à ouvrir tout de même, elle vit dans un des deux lits une femme aux cheveux blancs qui somnolait. L’autre lit était vide…
Cette fois-ci elle ressentit autant de colère que de déception. On lui disait vraiment n’importe quoi. Elle ne pouvait pas retourner voir son père avant d’avoir éclairci cette affaire.
Elle expliqua son cas au guichet du bureau des admissions. Entre-temps l’employé s’était métamorphosé en employée, une brunette affable.
– Madame, je suis désolée. Mais la chambre 1111 n’existe pas. De plus je ne trouve aucun Mickaël Durand dans mon listing.
– Ce n’est pas possible ! Je viens d’aller dans cette chambre. Et tout à l’heure votre collègue a trouvé un Mickaël Durand.
– Eh bien …peut-être a-t-il lu un peu vite, j’ai Dumand, mais pas de Durand. Regardez vous-même.
– C’est incroyable. Pourriez-vous me l’éditer ?
– Impossible, Madame. Ecoutez, je suis désolée mais d’autres personnes attendent. Si vous le souhaitez, faites une demande au bureau des réclamations. Mais je ne comprends pas, si cette personne est de votre famille ou un de vos amis, n’avez-vous pas ses coordonnées ?
L’employée souriait toujours, mais sa voix avait perdu son onctuosité.
– J’ai perdu mon portable, et…
– Désolée, au revoir Madame.
Elle partit, amèrement furieuse contre l’hôpital et elle-même. Pourquoi n’était-elle pas allée dès hier chambre 1107 ? Peut-être était-il parti entre-temps ? Mais il devrait bien y avoir une trace dans les fichiers ? Et la chambre 1111, elle l’avait vue. Si elle y retournait ? Mais cela ne servirait à rien puisqu’il n’y était pas ou plus.
Son père l’accueillit avec un sourire :
– Tu sais quoi ? Je viens de voir l’interne, je suis sortant demain.
– Papa, que je suis contente !
– On va fêter ça, va nous chercher quelque chose de bon. Dommage que l’on ne puisse pas trouver un peu de champagne…
Elle partit chercher les boissons. Elle était vraiment très contente pour son père, et puis demain pas besoin de revenir à l’hôpital…Oui, c’était une très bonne nouvelle, comme elle le dit à son mari le soir.
– Tu es enrhumée ? Tu as les yeux qui brillent, il me semble.
– Non, pas du tout, cela doit être ces produits désinfectants de l’hôpital.
– Ah ! Alors à la santé de ton père !
Le lendemain soir elle corrigeait quelques copies. Nicolas finissait ses cours plus tard ce jour-là. Son stylo rouge ne fonctionnait plus. Évidemment elle n’en avait pas d’avance, mais son mari en aurait bien dans son stock. Elle alla à son bureau, mais en cherchant le Bic elle fit tomber un classeur dont s’échappa une feuille. D’habitude Nicolas était plus soigneux. Elle la ramassa pour la remettre à sa place, mais elle aperçut l’en-tête : Hôpital St Jean de Pressac …à M. Darel. Le 9 novembre, c’était dans moins d’une semaine.
Quand son mari rentra, elle l’interrogea.
– Ah, bon sang ! Pourquoi es-tu allée fouiner dans mes affaires ? Je ne voulais te le dire que dans quelques jours, je voulais que tu puisses souffler un peu après l’opération de ton père. Ce ne sont que des examens, rien d’inquiétant a priori. En plus c’est dans le même hôpital, tu me diras que tu connais déjà la route …Enfin je ne veux pas que tu te sentes obligée de venir me voir.
Le 10 novembre elle repartait pour St Jean de Pressac. Finalement Nicolas semblait devoir rester quelques jours de plus.
– La chambre de M. Darel, s’il vous plaît ?
– 1111.
– 1111 ? Mais…
– Oui, Madame ?
– Rien, une coïncidence.
Par superstition, peut-être, elle renonça à demander immédiatement des explications.
Nicolas ne paraissait pas trop abattu. Il devait être opéré d’ici quelques jours.
– Ah, tu ne sais pas ce que l’on m’a raconté ce matin ?
Cela la peina un peu de voir qu’il cherchait déjà ce qu’il pouvait lui dire d’intéressant, comme un petit garçon racontant sa journée d’école.
– Eh bien, cette chambre avait disparu. Tu ne m’aurais peut-être jamais retrouvé !
– Mais…qu’est-ce que tu racontes ?
– C’est…kafkaïen. Apparemment deux homonymes ont séjourné à l’hôpital en même temps, dont l’un dans cette chambre. Et cela a perturbé le logiciel de gestion, du coup la chambre 1111 n’existait plus, ni les patients. Tu te rends compte pour les familles, quel stress ? Enfin je crois que cela n’a duré que quelques jours, mais…
– Quelle histoire !
Elle se sentit envahie par une irrépressible euphorie. Il fallait absolument qu’elle aille chercher un café. La vie finalement n’était pas qu’une série de mauvaises farces du destin.
Elle pourrait le retrouver. Son père allait mieux, et Nicolas irait bien aussi.
– Madame ?
– Oui ? C’était la brunette du bureau des admissions.
– Je vous reconnais, c’est vous qui m’aviez demandé M. Durand. Je voulais vous dire qu’il avait bien séjourné chez nous, on avait un bug sur le logiciel ce jour-là, mais la semaine dernière son épouse est venue le chercher.
– Ah ? Mais quel Durand ? Il y en avait deux, vous vous souvenez ?
– Ah, je ne pense pas Madame. Je viens de vérifier l’historique justement. Un seul Durand en entrée et en sortie.
La brunette souriait avec une indifférence polie.
Elle revint à la 1111, son euphorie restée quelque part au dessus du distributeur à café.
Le 17 novembre, elle revenait chercher Nicolas. L’opération s’était bien passée.
– Ah, il faut que je te dise. Cette chambre 1111 était décidément particulière. En regardant si je n’avais rien oublié, j’ai trouvé un répertoire dans le tiroir de la table de chevet. Et figure-toi que ce carnet était au nom de Mickaël Durand. Je l’ai laissé au bureau des personnels soignants, j’espère qu’ils lui transmettront. On n’avait pas eu un collègue prof qui s’appelait comme cela ? Tu ne vois pas que cela soit lui ? Il était comment ce Mickaël, tu t’en souviens toi ?
– Oh, tout à fait insignifiant, répondit-elle en souriant.
Cécile Causse
Elle
– Elle ne fait rien. Elle ne dit rien. Mais elle est là.
Lucas était soulagé. Peut-être était-ce ridicule, mais il avait besoin d’en parler à quelqu’un. Un médecin paraissait la personne ad hoc, même si la consultation avait eu un autre objet.
Le médecin lui prescrit un somnifère, faute de mieux. A priori il ne paraissait pas souffrir d’hallucinations, puisqu’il n’avait aucun autre symptôme.
Cette nuit-là il dormit un peu plus. A 7h (un peu plus tôt que d’habitude, pour voir), Lucas était sur le quai de la gare. Elle était encore là, comme tous les matins depuis trois semaines. Il hésita : allait-il lui parler ? Il la regarda, mais elle ne semblait pas le voir. Le train arriva et il monta. Il n’y penserait plus après…et pourtant il se retourna : elle avait disparu du quai.
La journée passa rapidement : la bibliothèque était presque pleine aujourd’hui, sûrement parce que les partiels approchaient. Puis le temps était plus que maussade : une pluie fine et ininterrompue tombait, un crachin glacé qui faisait des salles bruissantes un havre de vie tiède et réconfortant. Il n’y pensa pas pendant la journée. Ce fut le soir, dans le train de retour. Il n’arrivait pas à lire dans le train.
A qui ressemblait-elle ? Était-ce les yeux bruns, chauds, mais aussi tendrement graves, qui semblaient demander quelque chose ? Oui, ce regard lui rappelait quelqu’un. Mais il n’avait pas envie de se souvenir, c’était trop douloureux. Et puis à quoi bon ? Cela ne pouvait pas être elle, pas après tout ce temps.
Il dormit mal à nouveau cette nuit-là. Aussi il décida de changer de gare : la station d’après n’était qu’à un kilomètre, cela le ferait marcher un peu, et il échapperait à cette présence énigmatique et obsédante.
En effet il ne la vit pas ce matin-là. Ce fut un réel soulagement. La journée commençait bien. Mais cela ne dura pas : les photocopieurs ce jour-là tombèrent en panne les uns après les autres. Les étudiants ronchonnaient. Puis ce fut le SIGB. Impossible d’enregistrer les emprunts. Il fallut tout noter manuellement. Enfin la collègue de Lucas l’appela, un de ses enfants était malade et elle ne pourrait pas assurer ses horaires du soir : il était obligé de la remplacer, ce qui le faisait rester jusqu’à 21h. D’habitude il aimait ces soirées de travail, la bibliothèque était plus calme, il pouvait se consacrer à des tâches plus « nobles », mais aujourd’hui il n’en était pas question.
Au retour, il s’endormit dans le train. Probablement l’effet à retardement des somnifères, et cette journée harassante. Il rata sa nouvelle station et descendit à l’ancienne. Il n’y avait presque plus personne. Vraisemblablement elle ne serait pas là à cette heure tardive ? Il réalisa qu’il n’y avait pas pensé de la journée, c’était sûrement bon signe.
Pourtant toute la semaine les ennuis continuèrent : sa collègue ne put revenir, on lui adjoint un magasinier dont la bonne volonté égalait l’incompétence. Puis il eut des ennuis avec son bridge. Et enfin sa sœur l’appela pour lui annoncer sa prochaine visite. Il aimait bien sa sœur, mais ses visites tombaient toujours au moment le plus inopportun, et là il n’aurait guère de temps à lui consacrer. Il essaya de la dissuader de venir , mais ce fut peine perdue. Et comme c’était lui qui avait hérité de la maison familiale, il ne se sentait pas le droit de lui opposer un refus.
Le premier soir cela se passa plutôt bien, ils mirent au point le programme du lendemain : le lendemain étant un jeudi, elle irait voir une exposition à Paris, puis passerait le chercher à la bibliothèque et rentrerait avec lui.
– Tu ne sais pas qui j’ai aperçu à la gare ce matin ? lui dit Laetitia dès qu’ils furent dans le train du retour.
Lucas affecta un intérêt poli. Pourtant, si sa sœur l’avait vue et reconnue, cela prouverait qu’il n’avait pas rêvé.
– Eh bien, Laure, tu te souviens, ma copine de lycée, cela faisait des années que je n’en avais plus de nouvelles. Je crois qu’elle te plaisait autrefois ?
– Ah oui, Laure…
– Lucas…tu y penses toujours ? Enfin, je veux dire à elle ?
– Non, répondit-il sincèrement.
Sa sœur n’insista pas. Ils descendirent à son ancienne station, Lucas n’avait pas eu le temps d’inventer un prétexte pour l’éviter, puis après tout, il aimerait bien que sa sœur la voit. Mais elle n’était pas là.
Le lendemain il décida de prendre le train à son ancienne station. Et à nouveau elle était là, semblant l’attendre, mais disparaissant dès que le train démarrait.
Cette fois-ci il se sentit le cœur plus léger. La journée se passa bien à la bibliothèque, puis le vendredi soir avec sa sœur. Ils allèrent au cinéma au Quartier Latin, puis dinèrent dans un thaïlandais. Laetitia ne lui reparla plus « d’elle ». Il en fut soulagé. Pourtant il aurait aimé lui demander si elle n’avait rencontré personne d’autre à la gare, mais il n’osa pas.
Le samedi ils retournèrent à Paris. Cela faisait longtemps qu’ils n’avaient pas passé des moments si détendus ensemble. Laetitia était divorcée aussi maintenant, peut-être cela les avait-il rapprochés ?
Laetitia repartit le dimanche . Lucas accompagna sa sœur à la gare, mais elle n’était pas là. Cela le déçut un peu. En même temps, si vraiment elle venait pour le voir, il était logique qu’elle ne soit pas là un dimanche.
L’après-midi il rechercha de vieilles photos. Oui, il y avait bien ce quelque chose dans le regard. Pourtant il paraissait plus grave maintenant. Les photos cependant étaient souvent mensongères : sur celles-ci tous trois paraissaient heureux et sans souci, alors que déjà…
A quoi bon remuer ces souvenirs, ce passé ? Il pensait qu’il était non pas guéri, mais résigné. Pourtant s’il fallait y voir un signe ? Il avait tout perdu : ses parents d’abord, puis elle. Enfin, il avait cru l’avoir perdue elle aussi pour toujours. Mais il venait de retrouver sa sœur. Juste après avoir cru la voir, elle. Alors, demain il retournerait à son ancienne station. Puis si elle était encore là, il s’en approcherait, l’aborderait même.
Le lendemain, il partit un peu en avance, mais il attendit en vain. Elle ne vint pas.
Le surlendemain et toute la semaine, ce fut la même chose. A la bibliothèque tout allait mal. Les relations de Lucas avec sa collègue s’étaient tendues : elle était souvent absente, tout le travail retombait sur lui et de surcroît il dormait très mal. Pendant ses insomnies il pensait à elle, et maintenant il regrettait amèrement de ne pas avoir au moins essayé. Maintenant, bien sûr, elle s’était découragée, il ne la reverrait jamais. La vérité c’était qu’il était lâche. Il avait toujours eu peur de souffrir, il avait toujours fui. Son travail, c’était la même chose : il avait choisi de fuir dans les livres. Eh bien, le résultat était là, maintenant il devenait un vieux célibataire aigri et pusillanime. Quarante ans bientôt, et que des souvenirs.
Le lundi suivant, dans le train, il feuilletait un journal gratuit. Et soudain il la vit à la rubrique des petites annonces : recherche…disparue le 5 février 2023.
Cela correspondait bien à la date à laquelle il l’avait aperçue. Donc il n’avait pas rêvé. Elle était toujours en vie !
Il décida d’appeler au numéro indiqué. Mais malgré plusieurs messages, personne ne le rappela. Cela pouvait vouloir dire qu’elle avait été retrouvée, mais dans ce cas, pourquoi ne pas au moins envoyer un message par politesse ?
Enfin, après sa dernière tentative, au bout de deux semaines, il eut une réponse : le numéro avait changé de propriétaire et la personne ne comprenait rien à cette histoire de disparition.
Lucas dut se résigner. Mais les regrets et la tristesse ne le quittaient pas. Il retourna au grenier chercher d’autres photos. Là, elle avait deux, puis trois ans. Il retrouva de vieux jouets qu’ils n’avaient jamais eu le cœur de jeter. Après sa disparition, Léa et lui s’étaient éloignés l’un de l’autre, irrémédiablement. Et maintenant aux remords et aux regrets s’ajoutaient l’angoisse sur son sort : car si la personne qui la recherchait avait également disparu, qu’allait-elle devenir ? Et aussi : si elle était venue jusqu’à lui, c’est qu’elle n’était pas heureuse, c’était un appel au secours et lui, qu’avait-il fait ?
Il eut envie d’appeler sa sœur pour lui en parler. Mais elle ne comprendrait pas.
Une autre semaine passa, morne et toute hérissée de corvées. Cela faisait maintenant presque un mois …
Le vendredi soir, il descendait du train de 19H03.
Elle était là, à nouveau, peut-être un peu plus maigre. Lucas s’approcha : « Tu viens ? » dit-il simplement.
Et ils partirent tous les deux vers la maison. La chienne trottait fièrement, la queue en trompette. De temps en temps elle levait les yeux vers lui et poussait des soupirs éloquents.
– Je sais, lui dit-il. Moi aussi, j’ai trouvé ça long.
Cécile Causse