Page 30 - Traité de versification, métrique et prosodie
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                           La campagne est amaigrie,               A
                           Plus de mains pour les moissons,        B
                           Pardonnez si je le crie.                A-2

                           En église et sacristie                  A
                           On ne pensait trahisons :               B
                           Oradour :"ici l'on prie".               A-1

                           Vint le piège, la rouerie,              A
                           Puis les flammes pour prisons,          B
                           Pardonnez si je le crie.                A-2

                           Depuis, hurlant ma folie                A
                           Je les aime en déraisons                B
                           Oradour :"ici l'on prie",               A-1
                           Pardonnez si je le crie.                A-2
                           (Franck Lafossas)


                                                       Chapitre 5
                                    Non, le poète n’est pas seul

         5-1 Se tromper n’est pas grave
             L’un des freins au développement de l’écriture poétique tient en la peur qu’a le poète débutant de se
         tromper.  Craignant  de  commette  une  erreur,  certains renoncent  à  tenter  l’écriture  classique.  C’est  ce
         renoncement, par peur de l’échec, qui constitue une erreur. Tous les poètes ont commis des fautes de
         prosodie. La belle affaire !
             Plus haut, dans le paragraphe 3-3-1 je vous ai signalé les échos que l’on trouve dans l’Art poétique de
         Boileau. Je vous ai également signalé en paragraphe 3.3.2 qu’il n’avait pas toujours respecté la prohibition
         de  consonance  entre  des  rimes  qui  se  suivent.  Mais  avez-vous  remarqué  que  je  n’ai  pas,  non  plus,
         toujours respecté cette prohibition dans ma fable sur Maître Furet, en paragraphe 4-4 ?
             La règle classique constitue un guide, un moyen, non un but. L’important est que le cœur poète puisse
         s’exprimer. Tant pis s’il écorche parfois la règle au passage. Et, pour vous prouver que tout le monde peut
         se tromper, je vous cite partie d’un poème qu’en 1858 un élève de 4 ème  avait rédigé à la gloire du poète
         national :
                                    « Mais, tout en dédaignant la mort et ses alarmes,
                                        Hugo, tu t'apitoies sur les tristes vaincus ;
                                    Tu sais, quand il le faut, répandre quelques larmes,
                                  Quelques larmes d'amour pour ceux qui ne sont plus. »

             Ce jeune de 14 ans commettait une double erreur : il emprisonnait un e muet dans le verbe apitoies
         par un s final en utilisant la 2ème personne du singulier, et cela à la césure... (cf paragraphes 2-3-8 et 2-
         3-10). Et pourtant, ce jeune auteur a eu bien raison de ne pas s’arrêter sur cette faute. Il s’appelait Paul
         Verlaine.

         5-2 C’est le sot qui devrait avoir honte
             Un autre frein au développement poétique tient en la moquerie qui blesse parfois le poète débutant.
         Vexé, humilié, il préfère garder sa poésie secrète. Il n’ose plus la dévoiler.
             Dans son ouvrage Essai sur la bêtise (Presses Universitaires de France 1975) le professeur de philosophie
         Michel Adam a définitivement réglé le compte de ceux qui se moquent des poètes :
         « ... Le sot se sait empêché d’accéder à l’univers spirituel que propose la poésie : un univers paraissant
         dégagé du monde réel, mais faisant accéder à une sensibilité tellement profonde qu’elle ramène à ce
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